Un
enlèvement millimétré, une planque parfaite ; un seul bémol, je suis la
victime. Et K., le cerveau dégénéré de l’affaire, l’ex-associé de mon père. Je
ne suis pas retenu dans un endroit glauque ; non, juste sur un petit îlot
quelque part au milieu de l’océan (je ne vois aucune terre à l’horizon). Avec
K. pour toute compagnie, cet immonde personnage qui me toise, le sourire
narquois.
—
On va rester ici longtemps ?
—
Jusqu’à ce que ton radin de père consente à payer la rançon. Ça peut durer, il
te méprise. Tu ne seras jamais fichu de reprendre sa suite et il le sait. Mais
il paiera – tu imagines les titres dans la presse s’il refusait. Un mauvais
point pour ses actions, le marché boursier ne pardonne rien.
K.
a toujours trop parlé. Et là, avec ce sourire satisfait, c’est pire que tout.
Cela fait déjà une semaine que nous sommes coincés ici. Tous les trois jours,
un hélicoptère survole l’îlot et largue une cargaison de survie.
Quotidiennement, à quinze heures précises, K. appelle de son portable ;
s’il ne le fait pas, m’a-t-il assuré, plus de livraison de nourriture. Cela
pour prévenir une éventuelle attaque de ma part. Mais il n’y a guère de risque,
je ne suis pas violent ; je ne me souviens pas m’être jamais battu, sauf
peut-être contre un nœud de cravate récalcitrant.
Pourtant,
le lendemain, je perds pied et me précipite dans l’eau, je nage furieusement
vers le large. Évidemment, K. me rattrape en deux mouvements crawlés ;
s’ensuit une lutte ridicule dans l’eau. K. me calme d’un crochet dans la mâchoire
et pour une fois, je réplique. Mais il n’y a qu’au cinéma que la haine
accumulée rend invincible. Un coup de plus et me voilà inconscient.
Je reviens
à moi attaché par un lien court mais solide à l’un des seuls arbres de
l’endroit. K. a un œil poché mais n’a rien perdu de sa superbe.
—
Juste au cas où tu aurais envie d’une autre baignade. Je ne voudrais pas perdre
mon gagne-pain…
Le
soir venu, K. me jette mon sac de couchage et s’allonge quelques pas plus loin.
Le lien me meurtrit le poignet, les étoiles me narguent elles aussi, le bruit
de la mer m’angoisse.
Je
ne m’éveille qu’au milieu de la matinée. K., habituellement lève-tôt, dort
encore. Le soleil arrive au zénith et j’ai faim. K. n’a pas bougé. Je le hèle
du ton le plus désagréable que je peux. Sans résultat. Je ramasse un caillou et
lui lance. Toujours rien. Je recommence ; en guise de réponse, un faible
mouvement agite son sac de couchage – ce n’est pas sa main qui en sort mais un
petit scorpion noir, ridicule de taille mais pas de toxicité. Il faut me rendre
à l’évidence : mon bourreau est mort, mais également mon lien avec le
monde extérieur. Le scorpion hésite puis s’éloigne, m’abandonnant lui aussi à
mon sort. Je tire sur mon lien, en vain. Impossible d’atteindre le sac de couchage
de K. et son téléphone.
L’appel
de quinze heures n’a pas lieu. Plus de ravitaillement à venir. J’ai la bouche
sèche ; les restes de vivre sont inaccessibles et j’ai une irrépressible
envie d’uriner. Malgré tout, je ne désespère pas que les complices de K. me
récupèrent pour me monnayer à leur tour. À moins que celui-ci ait tout prévu
pour que cela ne se produise pas. Mon père verrait sans doute d’un bon œil l’économie
de quelques millions, même pour moi. À moins qu’il ne soit en train de réunir
l’argent en ce moment même. Mais rien n’est certain. Et je me demande ce qui de
sa pingrerie ou de ma vessie cédera en premier.